Ces liens qui s’effilochent…

Il y a quelques années encore, on vantait souvent la force des liens familiaux en Afrique. On disait que chez nous, on ne mourait jamais seul, qu’on était toujours entouré, épaulé. Que même quand tout allait mal, la famille – cette grande toile de soutien – se mettait en mouvement pour panser les blessures, partager les larmes, alléger les fardeaux.

Mais depuis quelque temps, j’ai l’impression que cette toile se déchire.

Ça va bientôt faire 7 ans que mon père est décédé. Je n’ai pas pu être présent pour ses obsèques, mais ses frères et sœurs ont joué leur rôle. Ils ont pris en main l’organisation du deuil. Toute la famille s’est mobilisée, chacun a apporté ce qu’il pouvait. Certains ont simplifié des démarches, d’autres ont offert leur présence, leur temps, leur énergie. Et ça, je ne l’oublierai jamais.

Mais tout le monde n’a pas cette chance.

J’ai vu autour de moi des proches perdre un parent, et se retrouver seuls à porter le poids du deuil. À croire que l’homme ou la femme décédé(e) n’avait plus de frères ni de sœurs. Que la douleur, les démarches, les cérémonies n’étaient plus « une affaire de famille », mais un fardeau que seuls les enfants devaient assumer. Et pire encore, quand ces enfants vivent à l’étranger… Quand ils sont des mbenguistes.

Comme si leur réussite supposée devenait une excuse pour ne plus les soutenir. Comme si leur éloignement suffisait à justifier qu’on les laisse seuls. Pourtant, que ce soit à Douala, à Paris, ou à Montréal, un fils reste un fils, une fille reste une fille. Et un frère reste un frère. Ou du moins, il devrait.

Et là encore, je repense souvent aux mots de ma mère. Elle, elle n’est pas dupe. Elle nous répète souvent que la nature humaine est complexe, et que nous ne devons pas être surpris le jour où ce genre de situation nous arrive. Elle nous a même dit qu’elle ne voulait pas d’obsèques grandioses, ni de pleurs en façade pour impressionner une famille qu’elle-même a souvent dû porter.

Elle insiste : « Vous m’avez aimée de mon vivant, vous m’avez prouvé votre affection. Ne vous endettez pas pour faire plaisir à des rapaces qui n’ont rien partagé avec moi quand j’étais là. »

Ce sont des paroles qui résonnent plus fort à mesure que le temps passe.

Peut-être que le vrai hommage, c’est justement d’aimer les siens pendant qu’ils sont là. Et de ne pas oublier, une fois qu’ils ne sont plus, que la mémoire se construit dans les gestes simples, pas dans les cérémonies tapageuses.

Georges DEFO