Comment j’ai appris à dire non sans culpabiliser
Parfois, la vie ne nous laisse pas le choix et nous fait sortir de notre zone de confort. Elle nous fait devenir adultes plus tôt que prévu. Je me souviens : quand papa est décédé en 2017, je venais tout juste de terminer mon stage étudiant et m’apprêtais à commencer mon premier contrat. Pour la première fois de ma vie, j’allais toucher un vrai salaire celui qui, dans mon esprit, devait essuyer les larmes de maman après toutes ces années de sacrifices.
Dit comme ça, on dirait la fin d’une belle histoire. En réalité, c’était le début des ennuis.
Il y a une chanson dont j’ai oublié le titre qui dit : “The more money, the more problems.” Et j’allais très vite comprendre pourquoi. Dès que les gens apprennent que tu as un salaire, on dirait que la nouvelle se propage comme une traînée de poudre. Les sollicitations arrivent de partout : maladies, scolarités, urgences imaginaires et parfois même… argent pour aller njoka. Et quand tu ne connais pas encore la valeur de l’argent, ton premier réflexe, c’est de “remercier” tous ceux qui étaient là quand tu n’avais rien. Pour les autres, tu te dis que ce ne sont que quelques dizaines d’euros, “ça ne va pas me ruiner.”
Sans t’en rendre compte, tu es aspiré dans le cyclone de la black tax.
Deux ans avant, mon ami Emmanuel — qui travaillait déjà — était toujours à découvert. Je ne comprenais pas comment il pouvait dépenser plus de 2 000 € par mois et finir en négatif. Il me disait toujours : “Rendez-vous dans deux ans.”
Mon tour est arrivé. Et crois-moi : Emma était un petit joueur. Si lui était Somen Achoui… moi j’étais Samuel Eto’o du découvert.
Si je t’en parle aujourd’hui, c’est parce que j’ai pris du recul. Et voilà ce que j’ai appris : peu importe la demande, je dis d’abord non. Je n’ai pas d’argent. Point.
C’est ma réponse par défaut, que ce soit aux proches, aux moins proches, ou à ceux que je choisis de ne pas ghoster. Quand quelqu’un est vraiment dos au mur, il trouvera toujours une solution.
Et surtout : il faut avoir l’humilité de comprendre qu’on n’est pas le sauveur de tout le village.
Entre le jeune migrant qui vient d’arriver en Europe — sans statut, sans stabilité — et qui prend déjà des engagements financiers pour soutenir les cousins restés au pays…
Ou le père de famille installé depuis vingt ans, mais dont les enfants nés ici sont livrés à eux-mêmes parce que leur père continue de porter la famille restée en Afrique…
Dans les deux cas, la même erreur : tu aides tout le monde sauf toi et ceux qui dépendent directement de toi.
La solution, c’est d’apprendre à dire non. Et surtout de ne plus culpabiliser.
Parce que le vrai but, c’est de se préparer à apporter — demain — une aide plus solide, plus durable, plus utile. Pas de se ruiner en voulant jouer au héros.
Georges DEFO