Être fort, c’est aussi savoir ressentir
L’empathie, c’est la capacité à se mettre à la place de l’autre, à ressentir ce qu’il ressent sans forcément vivre la même chose. Ce n’est pas de la pitié, ni de la sympathie aveugle. C’est une posture intérieure qui consiste à comprendre l’émotion de l’autre, à l’accueillir sans jugement, même si on ne l’a jamais vécue soi-même.
On distingue généralement deux types d’empathie :
- L’empathie cognitive, qui nous permet de comprendre rationnellement ce que vit quelqu’un.
- L’empathie émotionnelle, qui nous connecte plus directement au ressenti de l’autre.
Pendant longtemps, j’ai cru que pour réussir, il fallait être dur, ne pas trop s’attacher, ne pas trop écouter. Dans un monde compétitif, surtout quand on vient de loin, montrer de la sensibilité pouvait être vu comme une faiblesse. Mais une situation m’a fait changer de regard.
Je me souviens d’une collègue avec qui je travaillais sur un projet important. Elle était de nationalité chinoise et enchaînait les erreurs, mettait souvent les autres mal à l’aise avec des questions parfois très déplacées. À tel point que, quand elle rejoignait une conversation, je ressentais directement la gêne qui s’installait. J’avoue qu’au début, je trouvais qu’elle avait le chic pour faire ce qu’il ne fallait pas ou parler quand il fallait se taire. Ça commençait même à m’agacer.
Puis un jour, elle est venue me voir et m’a demandé, avec un air si naïf, comment je faisais pour être aussi bien intégré, car elle avait beau essayer, tout ce qu’elle réussissait à faire, c’était d’agacer les gens.
Je me suis rappelé mes débuts à Bucarest, quand je venais de poser mes valises, sans comprendre les us et coutumes de là-bas. En tant que seul autre étranger dans la boîte, j’étais censé comprendre ce qu’elle vivait. N’étant pas originaire d’un pays francophone, elle avait du mal à saisir les subtilités de la langue et même les codes de comportement. À partir de ce moment, nous sommes devenus inséparables. J’ai fait de mon mieux pour lui transmettre ce que j’avais appris depuis mon arrivée en France. Et j’ai été agréablement surpris de découvrir quelle personne drôle et attachante elle était.
Je n’ai pas la prétention de dire que j’ai sauvé son séjour en France, mais comme elle me l’a dit plusieurs années plus tard, c’est en partie grâce à moi qu’elle a réussi son intégration chez PSA, à la fin de son stage dans l’entreprise où nous étions collègues.
Aujourd’hui, je suis convaincu que l’empathie est l’une des qualités les plus puissantes qu’un leader puisse développer. Et pourtant, j’ai l’impression qu’elle se perd, notamment en Afrique.
Chez nous, la rudesse de la vie, la pression sociale, le culte de l’autorité ou du “m’as-tu vu” étouffent peu à peu cette capacité à ressentir l’autre. On apprend à répondre avant d’écouter, à juger avant de comprendre. On admire les “chefs” qui imposent, rarement ceux qui rassemblent. Pourtant, si on veut vraiment transformer nos sociétés, nos entreprises, nos institutions, il va falloir changer de posture.
L’Afrique n’a pas besoin de leaders froids et distants. Elle a besoin de leaders profondément humains. Des femmes et des hommes capables de comprendre ce que vit leur peuple, leurs équipes, leurs partenaires. Des leaders capables d’écouter sans humilier, de décider sans écraser.
Et ça commence par l’empathie.
Georges DEFO