L’homme qui sauva des millions… et en tua tout autant

L’histoire de l’humanité est remplie de paradoxes, et peu d’hommes incarnent cette dualité autant que Fritz Haber. Ce chimiste allemand, prix Nobel de chimie en 1918, est un nom que beaucoup ignorent, mais dont l’invention influence encore notre quotidien. Il est l’homme qui a trouvé le moyen de nourrir la planète… et de tuer par milliers.

Haber est à l’origine du procédé qui porte son nom : la synthèse de l’ammoniac à partir de l’azote et de l’hydrogène. Cette découverte a révolutionné l’agriculture en permettant la production massive d’engrais azotés, nourrissant ainsi des milliards de personnes. Sans lui, les rendements agricoles modernes n’auraient jamais été les mêmes et la famine aurait été une menace bien plus grande pour le monde.

Mais l’histoire de Haber ne s’arrête pas là. Patriote convaincu, il pensait que la science devait servir son pays, surtout en temps de guerre. Pendant la Première Guerre mondiale, il s’investit dans la mise au point des gaz de combat, persuadé qu’une victoire rapide de l’Allemagne écourterait le conflit et sauverait des vies sur le long terme. Son travail aboutit aux premières attaques chimiques massives de l’Histoire, notamment à Ypres en 1915, où le chlore fut utilisé contre les tranchées ennemies. Ce fut un carnage.

Ce qui devait être un moyen de “mettre fin rapidement à la guerre” devint une arme redoutable qui sema la mort et la souffrance. Ironie du sort, ses propres travaux furent ensuite utilisés contre les siens. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Zyklon B, un gaz dérivé de ses recherches, fut employé dans les chambres à gaz nazies, notamment contre les Juifs… alors que Haber lui-même était d’origine juive.

Rejeté par l’Allemagne qu’il avait servie, contraint à l’exil, il mourut seul en 1934, laissant derrière lui un héritage empli de contradictions. Sa vie pose une question fondamentale : la science est-elle neutre ? Ou bien est-elle toujours à la merci de ceux qui l’utilisent, pour le meilleur comme pour le pire ?

Alors, quand on parle de progrès, demandons-nous toujours à quoi et à qui il sert. Nous sommes les premiers en Afrique à laisser notre culture et nos coutumes sous prétexte d’évolution. Avant de vouloir tout jeter, pensons d’abord à Haber et demandons nous si cette évolution ne sera pas la chose qui détruira notre cher continent. L’intention ne suffit pas, c’est l’usage qui détermine l’impact.

Georges DEFO