Mon mariage en Roumanie

Mon mariage en Roumanie

Je ne sais pas si tu as déjà entendu parler de la méthode Montessori. C’est cette façon assez particulière d’éduquer les enfants, fortement basée sur le dialogue et l’écoute. Je t’avoue que, pour quelqu’un comme moi qui a grandi au Cameroun, ça m’a toujours paru un peu lunaire. Loin de moi l’idée de dire que tous ceux qui ont grandi au Cameroun ont eu la même éducation que moi, mais très souvent, la communication n’était pas le point fort de nos parents.

De ce fait, aujourd’hui, à mon tour d’être parent, j’ai toujours envie de mieux faire, mais je me rends compte que je reviens souvent à ce que je connais. Entre autres, imposer mon choix à mon petit, parce que j’estime — à raison ou à tort — savoir ce qui est bon pour lui. En soi, savoir ce qui est bon pour lui n’est pas le fond du problème. Le vrai problème se situe lorsque je ne prends pas le temps d’écouter ce que pense la personne concernée. Même s’il se trompe, il est important de lui laisser l’opportunité de se tromper. Ensuite seulement, je peux lui expliquer pourquoi son approche n’est pas la bonne.

J’ai aussi envie de dire que le fait que le parent se voie, vis-à-vis de son enfant, comme un être suprême qui n’a pas à se justifier, engendre souvent ce type de comportement.

Paradoxalement, pour nuancer tout ce que j’ai dit au début et ne pas me trouver d’excuses, je vais te raconter comment j’ai failli me marier alors que je n’avais que 22 ans. Fraîchement diplômé de mon école d’ingénieurs en Roumanie, j’avais à l’époque une copine avec qui j’étais en relation depuis deux années révolues, et tout se passait plutôt bien. Une fois mon diplôme en poche, la question s’est posée : rester en Roumanie ou partir continuer mes études ailleurs.

J’avais mis le sujet sur la table avec ma copine de l’époque, et elle ne voulait surtout pas que je parte. Elle souhaitait faire sa vie avec moi, et l’idée d’une union civile s’est alors posée. De mon côté, j’avais déjà entamé des démarches administratives pour poursuivre un master en France, et j’avais obtenu plusieurs admissions. Le hic, à l’époque, c’était le nombre impressionnant de refus de visas étudiants pour les promotions précédentes. Autant dire que je n’étais pas serein.

J’avais donc trois choix : me marier, obtenir mon visa et partir en tant qu’étudiant ; partir en tant que visiteur et devenir sans-papiers quelques mois plus tard ; ou tenter ma chance avec une demande classique. Chose étrange, je n’avais jamais parlé de relation ou de petite copine avec mon père, et la première fois que je dus le faire, c’était pour lui dire que je pourrais me marier.

Je m’étais dit qu’il allait sûrement me crier dessus pour avoir eu le culot d’aborder un tel sujet. Mais tout au contraire, il a fait preuve d’un calme olympien. Il m’a demandé si elle était une fille bien, et surtout si je l’aimais. Il m’a ensuite dit que, selon lui, il aurait préféré que je me marie avec une Africaine, tout en déplorant le fait que nous ayons à en parler à ce moment-là, car j’étais bien trop jeune. Puis il m’a demandé si c’était réellement la seule issue.

C’est seulement à ce moment-là que je lui ai parlé de la possibilité de faire une demande de visa pour la France. Sa conclusion fut simple et puissante :

« Dès lors que tu es parti de la maison pour la Roumanie, où cela fait quatre ans que tu te débrouilles seul et que tu nous rends fiers, je te fais confiance pour prendre la meilleure décision. Tu sais quelles réalités tu traverses là-bas, moi non. Mais de tout mon cœur, je souhaite que tu fasses ta demande de visa et que tu l’obtiennes. Et même si ce n’est pas le cas, sache que je te soutiens. »

Après cela, nous avons échangé quelques banalités, et j’ai eu l’impression que plus rien ne pouvait m’empêcher d’obtenir ce visa. Ce jour-là, j’ai eu le sentiment de découvrir une nouvelle facette de mon père. C’est une conversation que je chéris plus que tout, et s’il m’était demandé de ne garder qu’un seul souvenir, sans aucun doute, ce serait celui-là.

Je suis prêt à faire les efforts nécessaires pour que, demain, mon fils ressente à mon égard ce que mon vieux m’a fait ressentir ce jour-là.

Je ne m’attends pas à ce que ce témoignage soit extraordinaire pour tous ceux qui le liront, mais comme toujours, tout est relatif. Et je peux surtout nous exhorter tous à être à l'écoute de nos enfants. C'est comme toute habitude, ça se cultive très tôt sur les petites decisions.

Georges DEFO