Mon rêve américain, et la réalité que personne ne m’avait expliquée
Je suis un jeune né dans les années 90. Ça signifie que je suis de cette génération qui a grandi avec MTV, les émissions US et toute la musique qui allait avec : le R&B, le rap américain… bref, toute une culture qui m’a fait rêver.
D’ailleurs, la seule fois de ma vie où l’idée de partir vivre à l’étranger m’a traversé l’esprit, c’est quand la famille d’un camarade de classe de ma sœur avait gagné la loterie américaine. J’en mourais d’envie. C’est même comme ça que je me suis mis à jouer moi aussi—alors que je n’étais même pas majeur.
Quelques années plus tard, me voilà en France pour mes études. Ma vision de l’Occident avait déjà pas mal évolué, mais je n’avais jamais rencontré quelqu’un qui avait réellement vécu aux États-Unis.
Puis un jour, je fais la connaissance d’une amie qui y habite depuis l’âge de 8 ans. Impossible pour moi de m’empêcher de lui dire à quel point ce pays me fascinait. Je voulais tout savoir, même ce que ça faisait d’avoir des amis du “Hood”. Ignorant mais sincère, je voulais comprendre.
Elle m’a expliqué que la réalité n’avait rien à voir avec ce que je voyais à la télé. Elle m’a aussi parlé du rapport conflictuel entre Afro-Américains et Africains issus de l’immigration. Ce fut un choc. En 2013, j’avais du mal à l’accepter. J’étais exactement comme ce cousin resté au pays à qui on dit que l’Europe n’est pas le paradis… mais qui n’entendra jamais ça. Moi, je voulais aller au “State”, mettre un jeans baggy et jouer au “yor”.
Je te raconte tout ça parce que hier, je regardais une vidéo de Music Feelings sur le mouvement Afro qui se considère comme le véritable peuple de Dieu annoncé dans la Bible. Sans prendre parti, il expliquait pourquoi certains Afro-Américains voient leur histoire comme l’accomplissement de cette prophétie : l’esclavage, la déportation, les souffrances persistantes…
Mais c’est surtout sa conclusion qui m’a marqué : selon lui, nous, descendants de ceux qui sont restés en Afrique, avons le devoir de leur donner tout l’amour possible. Et c’est là que j’ai compris ce que je voulais écrire aujourd’hui.
Quand on vient d’Afrique, de manière naïve, on a envie d’être proches de nos frères afro-américains. Mais dans la réalité, ils ne sont pas toujours tendres avec nous. Certains nous rejettent même. Mais quand on y regarde de près, ce n’est pas forcément de leur faute. C’est à nous de faire preuve d’empathie. Parce que la blessure n’est pas la même, l’histoire n’est pas la même, le poids n’est pas le même. D'ailleurs, avant le mouvement qui dit que les afro-americains seraient les vrais juifs, ils s'accordaient pour dire que nous sommes à l'origine de leur malheur car nous les avons vendu. Aujourd'hui le discours s'est apaisé car nous n'aurions pas eu le choix de les vendre car faisant partie d'une prophétie.
Si tu ne côtoies pas d’Afro-Américains, peut-être que tu comprendras mieux avec les Antillais. Là aussi, il existe un fossé. Eux se sentent parfois supérieurs ou différents des Africains ; certains Africains se sentent “plus Africains” que les Antillais. Ce petit mépris subtil, ce préjugé automatique, tu le connais : Quand tu découvres que ton interlocuteur est des îles…Ou quand de l’autre côté, ton interlocuteur entend ton accent et te catalogue instantanément “blédard”.
C’est exactement là où je veux en venir. Comme Stevie l’a dit, j’en attends plus du blédard. Oui, j’attends de nous que, malgré nos blessures et nos orgueils, nous soyons ceux qui tendent la main. Ceux qui comprennent. Ceux qui pardonnent. Ceux qui gardent les bras ouverts.
Parce que, tôt ou tard, il faudra bien que la grande famille noire se retrouve entière. De façon ironique, que nous ayons été transporté outre atlantique ou que nous ayons été laissés sur le continent mais asservis et appauvris, nous sommes tous dans le même bateau et il serait temps qu'on s'en souvienne.
Georges DEFO