On avance, mais toujours pas assez.
Tu sais sûrement que j’ai vécu en Europe de l’Est pendant 4 ans, dans ce beau pays qu’est la Roumanie.
J’y ai vécu de très belles choses, mais j’y ai aussi découvert le racisme et la peur de ce qui est différent.
Le paradoxe que j’ai toujours aimé souligner, c’est qu’en m’éloignant de la capitale, Bucarest, je rencontrais souvent des gens au cœur tendre, pleins d’hospitalité.
Tandis qu’en ville, les comportements étaient parfois désobligeants, allant jusqu’à me rire au nez.
Ce n’était pas toujours violent, mais c’était là. Présent.
Un détail amusant : en période de rush dans les transports en commun, j’étais toujours à l’aise...
Personne ne daignait s’approcher de moi.
Peut-être que, sans le savoir, je sentais mauvais ? 😅
Mais très vite, j’ai compris que c’était juste la peur, ou la gêne, ou les deux.
Et puis, il y avait l’autre visage de la Roumanie.
Craiova, Timisoara…
Des villes où, à la vue d’un homme noir, on voyait dans les yeux des habitants de la naïveté, mais aussi de la curiosité sincère.
Je me souviens encore de cette mamie qui voulait me donner sa petite-fille en mariage parce que je savais parler roumain et que, selon elle, j’étais très respectueux.
Elle m’avait reçu chez elle, offert à manger, à boire…
Je me croyais revenu au village, à l’Ouest, avec l’hospitalité comme on la connaît chez nos mamies.
Je te parle de ça parce que depuis 2014, l’année où j’ai quitté la Roumanie pour poser mes valises en France,
je n’avais plus expérimenté ce regard d’étonnement que les gens te lancent parfois juste à cause de ta couleur de peau.
En France, un pays qui compte aujourd’hui des citoyens qui partagent mes origines, je ne m’attendais pas à être dévisagé comme un alien.
Au contraire, à mon arrivée, le fait de passer inaperçu m’a presque dérangé.
Il faut dire la vérité : ça me manquait un peu d’attirer les regards et les sourires sans trop d’effort.
Ce qui est rare attire la curiosité.
Et la curiosité, bien souvent, brise la glace à ta place.
Mais voilà…
En plus de 10 ans, que ce soit à Paris, Lyon, ou ailleurs, j’ai l’impression de ne plus avoir ressenti ces regards d’étonnement.
Ou alors, je n’y faisais plus attention.
Jusqu’à ce samedi.
Mon petit frère Charles m’a proposé de visiter le lac du Bourget.
On a loué un petit bateau pour longer les falaises autour du lac.
Et à chaque fois qu’on croisait un autre bateau, je voyais des têtes se retourner…
Parfois discrètement.
Souvent après un signal du premier qui nous avait repérés.
Pas une fois.
Ni deux.
Mais au moins dix fois.
Au bout du 5e bateau, j’ai demandé à Charles s’il avait remarqué comme moi ces regards étranges.
Il m’a répondu qu’il avait fait le même constat, et qu’il ne comprenait pas non plus pourquoi.
Et c’est là que m’est revenue la même question qu’en 2010 à Bucarest :
Comment est-ce qu’on fait pour que ça change ?
Comment, en 2024, dans un pays aussi avancé que la France, peut-on encore être perçu comme un phénomène parce qu’on est noir sur un bateau, ou ailleurs ?
Comment se fait-il que, peu importe les kilomètres, les décennies, les lois, les valeurs affichées…
les réflexes restent les mêmes ?
Et surtout : qu’est-ce qu’on peut faire, nous, concrètement, pour que nos enfants ne vivent pas les mêmes scènes ?
Georges DEFO