Posséder la terre, ou être possédé par elle ?
Il y a de cela quelques semaines, dans mon village maternel BANA, se tenait la réunion familiale annuelle. C’est ce moment festif où tous les enfants de la concession se retrouvent pour célébrer les ancêtres et leur ADN commun. Notre concession n’a donc pas dérogé à la règle. Hélas, comme beaucoup d’enfants expatriés, je n’ai pas pu être présent à cette manifestation, à mon grand regret. J’avais déjà listé ce à quoi nous renonçons quand nous décidons justement d’aller nous “battre” ou nous “chercher”.
Une autre conséquence de délaisser notre pays, c’est la prolifération de maisons et villas fantômes dans nos villages. Ces villas censées nous accueillir lors de telles occasions, mais qui finalement ne servent bien souvent que de checkpoint pour les convois funéraires, lorsque nous ramenons au village ceux qui rejoignent nos ancêtres.
Pour ce dernier rassemblement, j’ai encore eu le même souci : celui de loger maman. Car à ce jour, nous n’avons pas encore de maison au village. Naturellement, je me suis penché sur ce problème. Mon premier réflexe a été de lui demander de se renseigner sur comment faire pour acheter un terrain dans notre concession. De façon assez naïve, je me suis dit qu’avec de l’argent, s’octroyer un lopin de terre titré serait une simple formalité.
Mais j’ai découvert qu’il existe une toute autre logique. Dans notre culture, et particulièrement chez les Bamiléké, la terre ne se vend pas : elle se transmet. Elle n’est pas une marchandise mais un héritage sacré, un lien direct entre les vivants, les ancêtres enterrés dessus et les générations futures. Vendre la terre reviendrait à rompre cette chaîne. L’enfant d’une concession a donc un droit symbolique sur un lopin de terre, non pas parce qu’il peut l’acheter, mais parce qu’il appartient à cette lignée.
En réalité, l’argent n’ouvre pas les portes du village, c’est l’appartenance qui le fait. Et cette découverte, au-delà de la surprise, m’a rappelé une vérité simple : nous ne possédons jamais vraiment la terre, c’est elle qui nous possède, nous traverse et nous relie à nos origines.
Il existe néanmoins des personnes qui, bien qu’au courant de cela, n’ont aucun scrupule à user de faux et de trafic d’influence pour s’octroyer des titres fonciers et des superficies exagérées de terrains, expropriant ainsi des générations entières de ce qui leur revenait de droit.
Mon texte d’aujourd’hui est donc une façon de tirer la sonnette d’alarme et d’attirer l’attention de tous ceux qui, comme moi, sont férus d’investissement immobilier et qui, par ignorance ou par appât du gain, pourraient être tentés de commettre cette horreur.
Un personnage très controversé au Cameroun avait d’ailleurs lancé : « J’irai racheter vos villages et raser les tombes où sont enterrés vos parents. » Quel sacrilège !
Mais une autre question mérite d’être posée : si chacun garde précieusement sa terre et ne la cède qu’aux descendants, comment permettre le mélange, l’ouverture, l’accueil de ceux qui viennent d’ailleurs ? C’est là tout le défi : préserver l’âme de nos villages sans les transformer en forteresses fermées. Peut-être que l’avenir réside dans un équilibre subtil, entre transmission sacrée et ouverture choisie, pour que la terre continue de nous relier sans jamais nous enfermer.
Georges DEFO