Quand l’assurance des anciens fait vaciller ta réalité
Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de rencontrer un aîné qui vit en Europe depuis très longtemps, l’un de ceux-là qu’on appelle les anciens benguetè. Comme tout bon Camerounais, nous avons parlé politique, exil, raisons du départ et projets de retour. À un moment, la discussion a naturellement glissé vers la complexité de rentrer au pays quand on gagne bien sa vie en Europe.
Moi, je défendais la thèse selon laquelle plus on gagne bien ici, plus vite on devrait rentrer sur le continent. Lui n’était pas d’accord. Très vite, le désaccord ne portait même plus sur le retour, mais sur ce que signifiait “bien gagner sa vie” en Europe.
J’ai alors pris l’exemple d’un ami qui venait de signer l’un de ses contrats les plus lucratifs, lui permettant de générer au moins 15 000 euros par mois, et ce n’était qu’une de ses sources de revenus. La réaction de mon aîné a été immédiate : impossible. Il m’a fait comprendre, de manière détournée, que j’affabulais. J’ai été déstabilisé, non pas parce qu’il doutait, mais parce qu’il n’en démordait pas, sans pour autant avoir d’arguments solides pour me contredire. Moi, j’avais les chiffres. Et surtout, c’est mon domaine professionnel, je sais comment ça fonctionne.
Et pourtant… sa détermination a réussi à me faire douter.
Le lendemain, cette discussion me trottait encore dans la tête. J’ai voulu comprendre ce qui m’était arrivé. Comment quelqu’un pouvait-il réussir à me faire douter de ma propre réalité ?
La réponse est venue assez vite. Ce n’était pas une question de vérité ou de mensonge. C’était un choc de cadres mentaux. Mon aîné raisonnait avec une grille de lecture figée, construite à une époque où certaines opportunités n’existaient tout simplement pas. Accepter mon exemple aurait signifié admettre que le monde avait changé sans lui, et surtout qu’un jeune arrivé en Europe depuis moins de dix ans soit capable de gagner trois ou quatre fois plus que lui lui semblait impossible. Et parfois, pour préserver un équilibre intérieur, le cerveau préfère nier une réalité plutôt que de réviser toute une vision de la vie.
Ce qui m’a marqué, c’est de comprendre que l’assurance n’est pas toujours le signe de la vérité. Et que même quand on sait, quand on voit, quand on vit quelque chose, le regard d’un “ancien” peut suffire à nous faire douter, surtout quand on connaît la place qu’occupent les aînés dans notre culture. J’entends d’ailleurs ma maman me dire que c’est malpoli de dire à un aîné qu’il se trompe, pire encore, qu’il ment.
Si je partage ça aujourd’hui, c’est pour rappeler une chose simple : ne laisse jamais quelqu’un te convaincre que ce que tu vis est impossible, simplement parce que ça ne rentre pas dans son monde à lui.
Georges DEFO