Tout le monde trouvait narcisse très beau, seul le lac dans lequel il regardait son reflet ne l’avait pas remarqué.

Oscar Wilde raconte une version surprenante du mythe de Narcisse.

Quand Narcisse meurt, les nymphes trouvent le lac en train de pleurer. Elles pensent qu’il pleure Narcisse parce qu’il était beau. Mais le lac répond : « Je ne pleure pas Narcisse parce qu’il était beau. Je pleure parce que dans ses yeux, je voyais ma propre beauté. »

Ironie mordante.

L’histoire, qu’on croyait être celle d’un amour pur, se révèle être une quête de soi. Le lac n’aimait pas Narcisse pour ce qu’il était, mais pour l’image qu’il lui renvoyait. Et si cette ironie nous parlait directement ? Combien de fois croyons-nous aimer une personne, un pays, une cause… alors qu’en réalité nous aimons ce que cela dit de nous ?

On se dit attachés à une nation, mais souvent, c’est l’orgueil personnel que cela nourrit. On se dit amoureux d’une culture, mais c’est le reflet de notre identité qu’on protège.

Prenons le Cameroun.

Beaucoup de Camerounais, qu’ils soient au pays ou dans la diaspora, affirment aimer leur pays. Mais posons la vraie question : est-ce le Cameroun que nous aimons, ou ce que le Cameroun nous renvoie de nous-mêmes ?

Quand on dit « je suis fier d’être Camerounais », est-ce toujours une fierté tournée vers l’autre, vers la collectivité ? Ou bien une manière de se voir soi-même plus grand, plus digne ?

Le danger, c’est qu’en restant prisonniers de ce miroir, on finit comme le lac de Wilde : à pleurer moins la perte de l’autre que la perte de l’image de nous-mêmes.

Au Cameroun, cela se traduit par des discours pleins d’émotion mais sans actions concrètes. On proclame notre amour pour le pays, mais qu’aimons-nous vraiment ? La nation dans sa réalité imparfaite ? Ou bien l’idée flatteuse que nous nous faisons de nous-mêmes à travers elle ?

La vraie leçon de Wilde, c’est d’apprendre à aimer l’autre pour lui-même. Aimer un pays, ce n’est pas seulement aimer ce qu’il reflète de nous, mais s’engager pour le transformer, même quand cela ne nourrit pas notre ego. C’est aimer le Cameroun non pas comme un miroir, mais comme une maison commune, avec ses fissures, ses promesses, et surtout son avenir.

Georges DEFO